Un point sur la stigmatisation

La stigmatisation... Mais qu’en pensent les chercheurs ?

« …l’épilepsie, surtout lorsqu’elle n’est pas traitée, est associée à la stigmatisation, de mauvaises prestations scolaires chez les enfants, à des problèmes d’apprentissage et de comportement, à des difficultés pour trouver plus tard du travail chez les adultes, à une activité sociale limitée, à des manifestions d’angoisse et de dépression. »
Résolution relative à l’épilepsie, chambre des représentants, mars 2017

« Dans le cadre de l’épilepsie, la stigmatisation, ouvertement exprimée ou ressentie, est retrouvée chez près de la moitié des personnes et est jugée sévère dans 10 à 30% des cas.  »
Orozco L. Epilepsia 2005.

« Le stigmatisé a (...) tendance à cacher l’épilepsie à son employeur, ses proches, voire son partenaire. »
Gharagozli L et al. Journal of Neurology, 2003

Stigmatisation et épilepsie : une réalité qui persiste au XXIème siècle

La stigmatisation est un processus social observé quand des éléments « d’étiquetage », de stéréotype et de discrimination sont responsables de différences inacceptables et causent une perte du statut social (Link et Prelan, 2001). Lorsqu’elle touche à la santé, elle inquiète souvent plus la personne que la maladie elle-même et est fréquemment responsable d’un sentiment de culpabilité.
Dans le cadre de l’épilepsie, la stigmatisation, ouvertement exprimée ou ressentie, est retrouvée chez près de la moitié des personnes et est jugée sévère dans 10 à 30% des cas. Elle est généralement liée au caractère imprévisible des crises ainsi qu’à l’exclusion sociale consécutive à l’attitude négative de la société. Elle a pour conséquences des difficultés pour fonder une famille, trouver un emploi, même en l’absence de contre-indication, et un cercle d’amis restreint. Le stigmatisé a ainsi tendance à cacher l’épilepsie à son employeur, ses proches voire son partenaire. L’impact direct de la stigmatisation sur la qualité de vie des patients a été démontré et est fréquemment responsable de dépression, troubles anxieux, et parfois indirectement aggravation de la maladie épileptique.
Ce phénomène très ancien persiste malheureusement au XXIème siècle.

D’après une étude comparative, le niveau de stigmatisation rencontré chez les patients avec épilepsie est comparable à celui rapporté par les personnes touchées par le virus du VIH, un niveau nettement plus élevé qu’avec une autre maladie chronique fréquente, le diabète. (Fernandes et al., 2007).
Globalement, l’état de santé mentale et physique évalué subjectivement par les patients avec épilepsie est moins bon que celui de personnes souffrant d’hypertension, diabète ou même cancer, probablement en raison de ce phénomène de stigmatisation (Kobau et al., 2017).

Une des conséquences de cette stigmatisation est la difficulté des patients à parler de leur maladie, parfois encore considérée comme une « maladie honteuse ».

En 1997, une grande campagne internationale intitulée (de façon assez négative) « Épilepsie, sortir de l’ombre » a été organisée par l’OMS et la ligue internationale contre l’épilepsie. Le président de la ligue internationale écrivait alors que « le cancer, la lèpre et l’épilepsie étaient les trois grands fléaux dont on n’osait pas parler il y a encore 30 ans. Aujourd’hui, on parle plus ouvertement du cancer, la lèpre n’est plus aussi tabou, et nous voudrions qu’il en soit de même pour l’épilepsie. » Vingt ans plus tard, il semble que peu de progrès ait été réalisé, comme le montrent une enquête d’opinion récente en France et nos propres enquêtes en Belgique francophone.

Situation en Belgique francophone

Une première enquête réalisée par la LFBE auprès de la population générale belge francophone montre que certains stéréotypes ont toujours la vie dure, ainsi, à titre d’exemple, près de 30% des sondés pensent toujours que l’épilepsie est une maladie mentale et déconseilleraient aux personnes atteintes d’épilepsie d’avoir des enfants, 65% d’entre eux pensent à tort que les crises épileptiques sont uniquement caractérisées par une perte de connaissance et des convulsions, ou encore 85% pensent qu’en cas de crise il faut systématiquement insérer un objet entre les dents (pour éviter les morsures de langue), ce qui est en réalité déconseillé. Il est intéressant de noter que près de la moitié des sondés ont des connaissances atteintes d’épilepsie, ce qui n’empêche pas une méconnaissance de la maladie.
Ces résultats rejoignent un sondage réalisé auprès de la population française en octobre 2016 par l’institut ODOXA. Un français sur deux discriminerait les personnes avec épilepsie dans l’un des domaines testés (3/10 seraient gênés à l’idée que leur enfant ait un professeur souffrant d’épilepsie, ou d’avoir des enfants avec une personne souffrant d’épilepsie, 1/6 ne voudrait pas d’un collègue, 1/5 ne voudrait pas d’un patron atteint d’épilepsie). Un français sur deux conseillerait aux personnes épileptiques de cacher leur état (22% pour leurs familles et amis, 46% au travail).

Dans une seconde étude portant sur la qualité de vie et la stigmatisation des belges francophones atteints d’épilepsie, nous montrons que la qualité de vie des patients est moins bonne que dans les populations de référence, notamment en ce qui concerne le bien-être émotionnel. Le sexe féminin, l’absence de diplôme et la fréquence des crises influencent négativement la qualité de vie. La mauvaise qualité de vie est associée à un sentiment de stigmatisation plus élevé.

Comment faire changer les choses ?

La discrimination est manifestement favorisée par une méconnaissance de la maladie dans le grand public. La tendance des patients à cacher leur maladie renforce ce phénomène par un cercle vicieux. Chez nous, l’épilepsie est peu présente dans les médias, et dans le monde francophone aucune personne célèbre ne l’évoque.
Il est donc important de combattre cette méconnaissance, notamment par des campagnes de sensibilisation dans les médias.

Quel message faire passer au grand public ?

Un groupe de travail de l’académie américaine de médecine a proposé 7 messages clé à transmettre :

  • L’épilepsie est une maladie fréquente, qui touche hommes, femmes, enfants, de tous âges, et de tous niveaux socio-économiques
  • L’épilepsie prend des formes très diverses, a des causes, des évolutions et des traitements variés ; elle n’est pas contagieuse
  • Environ deux personnes sur trois avec épilepsie n’ont plus de crise sous traitement
  • Il existe des services spécialisés dans le traitement des épilepsies réfractaires ; des traitements chirurgicaux efficaces sont parfois possibles
  • Chacun d’entre nous peut apprendre à porter secours à une personne en crise d’épilepsie
  • La majorité des personnes avec épilepsie ont une vie familiale, sociale, professionnelle normale
  • La stigmatisation liée à l’épilepsie a des conséquences négatives importantes sur la qualité de vie et l’état de santé mentale et physique des patients.

Ces vingt dernières années, plusieurs campagnes ont été réalisées, surtout dans les pays anglo-saxons, mais il faut bien reconnaître que jusqu’à présent les attitudes du grand public n’ont pas significativement évolué.
Il est vrai qu’informer le grand public est difficile, notamment en raison de la grande diversité des formes que prend la maladie. De plus, il semble que la simple transmission d’informations rationnelles ne suffise pas à changer les attitudes. Les comportements ne peuvent évoluer que si le public se sent touché émotionnellement et s’identifie aux personnes concernées par la maladie.

Campagne de sensibilisation début 2019, en Belgique francophone

Nous avons donc pour objectif de parler de l’épilepsie et des personnes atteintes en terme positif, et viser à toucher émotionnellement, simplement en présentant des situations de vie courante avec des personnes auxquelles nous pouvons facilement nous identifier.
En collaboration avec le Centre d’Éducation du Patient et avec le soutien de la région bruxelloise, la LFBE lance une campagne de sensibilisation du grand public, dans le but de diminuer le phénomène de stigmatisation.
En parallèle, nous souhaitons diffuser l’information dans les milieux les plus divers dans lesquels les personnes avec épilepsie évoluent : écoles, travail, milieu du handicap, clubs sportifs…

Pour conclure : Osons parler de l’épilepsie !

Dr P. Vrielynck, neurologue, CHN W. Lennox. Président de la Ligue francophone Belge contre l’Epilepsie (LFBE)
Pr M. Ossemann, neurologue, Chef de service CHU UCL Namur (site Godinne), Centre Interdisciplinaire des Malaises Inexpliqués & des Syncopes. Ligue Francophone Belge contre l’Epilepsie (LFBE)


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